Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 1.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le raisonnement, l’observation, la science vont bientôt perdre toute chance de décider dans cette question, et la passion seule des partis en décidera. Il se trouvera des esprits qui, au gré de leurs préférences, refuseront intrépidement aux institutions britanniques l’honneur d’être l’idéal du perfectionnement humain : leur enthousiasme sera pour l’ordre établi à Saint-Pétersbourg ou à Vienne. Beaucoup enfin, et peut-être le plus grand nombre, entre le Rhin et les monts Pyrénées, soutiendront que, malgré quelques taches, le pays le plus policé du monde c’est encore la France. Du moment que déterminer le degré de culture devient une affaire de préférence, une question de sentiment, s’entendre est impossible. L’homme le plus noblement développé sera, pour chacun, celui-là qui pensera comme lui sur les devoirs respectifs des gouvernants et des sujets, tandis que les malheureux doués de visées différentes seront les barbares et les sauvages. Je crois que personne n’osera affronter cette logique, et l’on avouera, d’un commun accord, que le système où elle prend sa source est, à tout le moins, bien incomplet.

Pour moi, je ne le trouve pas supérieur, il me semble inférieur même à la définition donnée par le baron Guillaume de Humboldt : « La civilisation est l’humanisation des peuples dans leurs institutions extérieures, dans leurs mœurs et dans le sentiment intérieur qui s’y rapporte (1)[1]. »

Je rencontre là un défaut précisément opposé à celui que je me suis permis de relever dans la formule de M. Guizot. Le lien est trop lâche, le terrain indiqué trop large. Du moment que la civilisation s’acquiert au moyen d’un simple adoucissement des mœurs, plus d’une peuplade sauvage, et très sauvage, aura le droit de réclamer le pas sur telle nation d’Europe dont le caractère offrira tant soit peu d’âpreté. Il est dans les îles de la mer du Sud, et ailleurs, plus d’une tribu fort inoffensive, d’habitudes très douces, d’humeur très accorte,

  1. (1) W. V. Humboldt, Ueber die Kawi-Sprache auf der Insel Java ; Einleitung, t. 1, p. XXXVII, Berlin, in-4o. « Die Civilisation ist die Vermenschlichung der Voelker in ihren äusseren Einrichtungen und Gebräuchen und der darauf Bezug haben den innern Gesinnung. »