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Ainsi, dans la même exclusion que les peuples aristocratiques, il faut repousser encore les Hindous, les Égyptiens, les Étrusques, les Péruviens, les Thibétains, les Japonais, et même la moderne Rome et ses territoires.

Je ne touche pas à deux dernières hypothèses, par la raison que, grâce aux deux premières, voilà l’état de civilisation déjà tellement restreint que, sur le globe, presque aucune nation ne se trouve plus autorisée à s’en prévaloir légitimement. Du moment que, pour posséder le droit d’y prétendre, il faut jouir d’institutions également modératrices du pouvoir et de la liberté, et dans lesquelles le développement matériel et le progrès moral se coordonnent de telle façon et non de telle autre ; où le gouvernement, comme la religion, se confine dans des limites tracées avec précision ; où les sujets, enfin, doivent de toute nécessité posséder des droits d’une nature définie, je m’aperçois qu’il n’y a de peuples civilisés que ceux dont les institutions politiques sont constitutionnelles et représentatives. Dès lors, je ne pourrai pas même sauver tous les peuples européens de l’injure d’être repoussés dans la barbarie, et si, de proche en proche, et mesurant toujours le degré de civilisation à la perfection d’une seule et unique forme politique, je dédaigne ceux des États constitutionnels qui usent mal de l’instrument parlementaire, pour réserver le prix exclusivement à ceux-là qui s’en servent bien, je me trouverai amené à ne considérer comme vraiment civilisée, dans le passé et dans le présent, que la seule nation anglaise.

Certainement je suis plein de respect et d’admiration pour le grand peuple dont la victoire, l’industrie, le commerce racontent en tous lieux la puissance et les prodiges. Mais je ne me sens pas disposé pourtant à ne respecter et à n’admirer que lui seul : il me semblerait trop humiliant et trop cruel pour l’humanité d’avouer que, depuis le commencement des siècles, elle n’a réussi à faire fleurir la civilisation que sur une petite île de l’Océan occidental, et n’a trouvé ses véritables lois que depuis le règne de Guillaume et de Marie. Cette conception, on l’avouera, peut sembler un peu étroite. Puis voyez le danger ! Si l’on veut attacher l’idée de civilisation à une forme politique,