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Il y a indubitablement une civilisation païenne, une civilisation brahmanique, bouddhique, judaïque. Il a existé, il existe des sociétés dont la religion est la base, a donné la forme, composé les lois, réglé les devoirs civils, marqué les limites, indiqué les hostilités ; des sociétés qui ne subsistent que sur les prescriptions plus ou moins larges d’une formule théocratique, et qu’on ne peut pas imaginer vivantes sans leur foi et leurs rites, comme les rites et la foi ne sont pas possibles non plus sans le peuple qu’ils ont formé. Toute l’antiquité a plus ou moins vécu sur cette règle. La tolérance légale, invention de la politique romaine, et le vaste système d’assimilation et de fusion des cultes, œuvre d’une théologie de décadence, furent, pour le paganisme, les fruits des époques dernières. Mais, tant qu’il fut jeune et fort, autant de villes, autant de Jupiters, de Mercures, de Vénus différents, et le dieu, jaloux, bien autrement que celui des Juifs et plus exclusif encore, ne reconnaissait, dans ce monde et dans l’autre, que ses concitoyens. Ainsi chaque civilisation de ce genre se forme et grandit sous l’égide d’une divinité, d’une religion particulière. Le culte et l’État s’y sont unis d’une façon si étroite et si inséparable, qu’ils se trouvent également responsables du mal et du bien. Que l’on reconnaisse donc à Carthage les traces politiques du culte de l’Hercule tyrien, je crois qu’avec vérité l’on pourra confondre l’action de la doctrine prêchée par les prêtres avec la politique des suffètes et la direction du développement social. Je ne doute pas non plus que l’Anubis à tête de chien, l’Isis Neith et les Ibis n’aient appris aux hommes de la vallée du Nil tout ce qu’ils ont su et pratiqué ; mais la plus grande nouveauté que le christianisme ait apportée dans le monde, c’est précisément d’agir d’une manière tout opposée aux religions précédentes. Elles avaient leurs peuples, il n’eut pas le sien : il ne choisit personne, il s’adressa à tout le monde, et non seulement aux riches comme aux pauvres, mais tout d’abord il reçut de l’Esprit-Saint la langue de chacun (1)[1], afin de parler à chacun l’idiome de son pays et d’annoncer la foi avec les idées et au moyen des images les

  1. Act. Apost., II, 4, 8, 9, 10, 11.