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le raki du maître de police, et le ciel voulait que l’ivresse lui eût fait prendre Omm-Djéhâne en horreur.

— Que le diable l’emporte, cette mademoiselle ! Qu’est-ce qu’elle a encore fait ? Tiens ! vois-tu, Omm-Djéhâne, laisse-moi tranquille ! Quelles vieilles histoires viens-tu me conter ! Est-ce que tu crois que je me soucie du Caucase et des brutes qui l’habitent ? Mon père et ma mère ? Vois-tu, je te le dis entre nous, c’étaient d’infâmes brigands, et quant à ma tante, ah ! la sorcière ! Tu ne peux pas nier que c’était une sorcière ! D’ailleurs, moi, je veux aller passer l’hiver prochain à Paris ! J’irai souper aux plus fameux cafés ! je fréquenterai les petits théâtres ! Tu viendras avec moi, Moreno ! n’est-ce pas, Moreno, tu viendras avec moi ! Ah ! mon petit frère, ne m’abandonne pas ! Allons à l’Opéra ! Omm-Djéhâne ! tiens, viens, donne-moi le bras ! Tu verras là ! ah ! tu verras là des jeunes personnes qui dansent un peu mieux que toi, je te l’avoue ! Écoute ! non, viens plus près, que je te dise quelque chose : veux-tu que nous allions chez Mabille ?… Il paraît que c’est tout ce qu’il y a de plus…

On prétend que la fixité du regard de l’homme opère sur les brutes d’une manière merveilleuse, qu’elle les terrifie, les fait reculer et les réduit, en quelque sorte, à néant. Que cela soit vrai ou non, Assanoff ne put soutenir l’expression des yeux que la jeune fille tenait attachés sur les siens ; il se tut, puis il tourna à droite