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pas notre aoûl, notre village, sur son pic de rochers, montant droit au milieu de l’azur du ciel, avec les nuages au-dessous de lui, dans les vallons pleins d’arbres et de pierres ? Tu ne vois donc plus le nid où nous sommes nés, bien au-dessus des plaines, bien au-dessus des montagnes communes, bien au-dessus des hommes esclaves, parmi les demeures des oiseaux nobles, au sein de l’atmosphère de Dieu ? Tu ne les vois donc plus nos murailles protectrices, nos tours penchées sur les abîmes, nos manoirs en terrasse, montant les unes au-dessus des autres, toutes vigilantes et, par leurs lucarnes, avides de voir l’ennemi de plus loin ? Et leurs toits plats où nous dormions l’été, et les rues étroites et le logis de Kassem-Bey en face du nôtre, et celui d’Arslan-Bey devant, et tes camarades de jeu, Sélym et Mouryd qui sont morts dans leur sang, et mes compagnes, à moi, Ayéshah, Loulou, Péry, la petite Zobeydèh, que sa mère portait dans ses bras ! Ah ! misérable lâche ! les soldats les ont tous jetés dans les flammes, et l’aoûl a brûlé sur eux !

Assanoff commença à se sentir extrêmement mal à son aise. Quelques gouttes de sueur perlèrent sur son front. Il étendit machinalement les mains sur ses genoux, qu’il tint fortement serrés. Mais il ne prononça pas un mot. Omm-Djéhâne continua d’une voix sourde :

— Tu ne rêves donc jamais la nuit ? Tu te couches, et le sommeil te prend, et tu restes là, n’est-ce pas, comme