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tant soit peu méchant. Il n’était ni l’un ni l’autre. En tant que moralité, il avait les idées de ses coreligionnaires : ce n’était pas sa faute, puisqu’il avait été élevé par eux, avec eux et comme eux ; mais on pourrait presque dire qu’il y allait innocemment, puisqu’il ne voyait aucun mal dans ce qu’il supposait être la raison et la vérité. C’était un esprit tortu et dévoyé, mais non pas un drôle à proprement parler, et, quant à son commerce, il le conduisait avec une tranquillité de conscience peut-être aussi justifiée que celle dont Messieurs les entrepreneurs d’entreprises matrimoniales, à Paris, sont assurément pourvus après quarante ans de succès. Les lois européennes défendent sévèrement la traite des esclaves ; cela est exact ; à ce titre, le maître de police russe, le marchand arménien, le spéculateur américain et le commis-voyageur français, tous chrétiens, étaient des coquins purs et simples. Mais l’Ennemi de l’Esprit et sa clientèle asiatique avaient de quoi se tenir l’âme en repos, dans un pays où les mariages ne se contractent jamais, en suivant les conditions même les plus régulières, que par ces ventes, au moins simulées, de la femme et où l’esclave homme prend rang dans la famille immédiatement après les enfants et avant les domestiques. Ceci soit dit non pas pour élever Grégoire Ivanitch sur un pavois, mais uniquement pour le présenter sous son vrai jour. C’était, et voilà ce qu’on en peut affirmer avec justice, un bon vivant par démonstration, dogmatiquement