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— Un intérêt bien puissant doit vous avoir imposé un genre d’existence aussi rude ? demanda Valerio

La femme n’était pas de taille très-élevée ; sa maigreur paraissait extrême ; son nez crochu, sa bouche mince, ses yeux petits, brillants, donnaient à toute sa physionomie une expression de dureté et de rapacité peu agréables à voir. Elle répondit  :

— J’ai suivi d’abord mon mari, musicien militaire, engagé par le gouvernement persan. J’ai fait quelques bonnes affaires au moyen d’un petit commerce. M. Gabarra est mort. Je suis retournée à Trieste acheter d’autres marchandises, et je suis retournée. J’ai continué à vendre, à gagner, à perdre. J’ai pris l’habitude d’aller et de venir ainsi. J’aime mieux cette existence que toute autre. Quelquefois je me mets en service comme cuisinière, soit dans les harems curieux de goûter des plats des Européens, soit dans quelque légation. En ce moment, j’apporte avec moi une pacotille de bimbloterie. J’épargne mon argent, je loge avec les muletiers, mange du pain et du fromage, et je sers Dieu le mieux possible.

— C’est une existence très-dure ! s’écria Lucie.

— Ma belle dame, reprit la femme d’un air sérieux et morose, chaque créature humaine a son lot. Ce n’est pas la vie que je mène qui cause mon malheur. J’ai vu beaucoup de choses curieuses.

— Je n’en doute pas, repartit Valerio. Vous devriez