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devinait la valeur cachée au moins aussi bien que Valerio, peut-être avec plus de délicatesse encore, et elle était avide d’explications. Rien ne lui échappait ; les nouveautés la frappaient et la jetaient dans des contes où son imagination s’enfonçait sans s’arrêter. Un palikare, qui montait à bord se balançant sur les hanches de cet air arrogant et vainqueur particulier aux Albanais, suffisait pour transporter son esprit dans ces montagnes Acrocérauniennes dont son mari lui racontait, à ce propos, les pittoresques horreurs. Les vagues céruléennes qui se poussaient doucement l’une l’autre entraînaient ses pensées vers les côtes inaperçues de cette Afrique pleine de sables, de lions, de violences des hommes associés aux violences de la nature, et ce semis de pierreries, d’améthistes, de topazes, de tourmalines, de rubis, qu’on nomme l’Archipel, jeté là au milieu des saphirs de la mer, lui faisait comprendre comment les peuples antiques, à l’époque de tant de splendeurs, de tant de merveilles constamment vivantes, variables, séduisantes, avaient reçu dans leurs âmes la persuasion profonde que les Dieux étaient là, présents, que les rayons du soleil étaient la chevelure même du divin cocher Apollon, que l’Aurore pétrissait de ses doigts roses le firmament joyeux, et que la Nuit sacrée enveloppait en souriant dans ses voiles, sans songer à les éteindre, et voulant à peine les cacher, les étincelles de feu allumées au front d’Andromède, de Callisto et des Jumeaux