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à travers les flots helléniques, les porter à l’ancienne Byzance.

Savoir voyager n’est pas plus l’affaire de tout le monde que savoir aimer, savoir comprendre et savoir sentir. Tout le monde n’est pas plus en état de pénétrer dans le sens réel de ce que les changements de lieu apportent de spectacles nouveaux, que tout le monde n’est apte à saisir la signification d’une sonate de Beethoven, d’un tableau de Vinci ou de Véronèse, de la Vénus d’Arles ou de la Passion de Bianca Capello.

À bord du navire qui emmenait Valerio et Lucie et les poussait sur la nappe bleue des flots entre les îles brillantées et l’Archipel, se trouvait un bon groupe de ces excellents animaux, que la mode chasse tous les printemps de leurs étables, pour les emmener faire, comme ils disent, un voyage en Orient. Ils vont en Orient et ils en reviennent, ils n’en sont pas plus sages au retour. Ni le passé ni le présent des lieux ne leur est connu ; ils ne savent ni le comment, ni le pourquoi des choses. Les paysages ne ressemblant ni à la Normandie, ni au Somersetshire, ne leur paraissent que ridicules. Les rues des villes n’ont pas de trottoirs, il fait très-chaud dans le désert ; les ruines trop nombreuses sont hantées par des petits animaux qu’on nomme scorpions ; les puces se permettent, en nombre indiscret, des expéditions intolérables sur la personne des passants ; les indigènes demandent trop de bakschishs,