Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’Esprit les considérait d’un œil de plus en plus troublé en buvant de l’eau-de-vie. Ces plaisirs variés durèrent jusqu’au moment où les joueurs furent comme mis en sursaut par un bruit sourd, qui retentit à côté d’eux. C’était Grégoire Ivanitch qui s’écroulait sur sa base. Assanoff avait perdu son argent. Deux heures du matin venaient de sonner. Chacun alla se coucher, et le Grand-Hôtel de Colchide, tenu par M. Marron (aîné), entra dans le repos.

Il était à peine cinq heures, quand un domestique de l’hôtel vint frapper à la porte de la chambre à coucher de Moreno pour l’avertir que le moment du départ était proche. Quelques instants après, Assanoff parut dans le corridor. Sa capote d’uniforme était jetée sur ses épaules plus que négligemment ; sa chemise de soie rouge, fort chiffonnée, tenait mal à son cou, et sa casquette blanche était comme plaquée sur son épaisse chevelure bouclée, où aucun soin de toilette n’avait mis de l’ordre. Quant à la figure, elle était ravagée, pâle, tirée, les yeux étaient rougis ; et l’ingénieur aborda Don Juan avec un baillement effroyable, en se tirant les bras de toute leur longueur.

— Hé bien ! cher ami, s’écria-t-il, il faut donc s’en aller ? Est-ce que vous aimez à vous lever si matin quand vous n’êtes pas de service, et même quand vous en êtes ? Holà ! Georges ! double brute ! Apporte-nous une bouteille de Champagne pour nous mettre en train, ou le diable si je ne le casse pas les os !