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une joie que de mourir dans les lieux où elle vivait, que de tomber sur le sol même foulé par ses pieds chéris, que d’expirer dans l’air sacré qu’elle respirait ; non, ce ne serait pas autre chose qu’un bien suprême ; mais, au moment de fermer les yeux, sous la morsure cruelle du fer ou de la balle, rencontrer le regard de Djemylèh et en éprouver la glaciale indifférence, quoi ? La haine méprisante, ce serait trop. Non, il ne fallait pas aller tomber dans cette maison.

Mohsèn n’était certain, convaincu que d’une chose : c’est qu’il n’était pas aimé. Pourquoi le croyait-il ? C’est qu’il aimait trop. La folie de la tendresse l’avait saisi à l’improviste, brusquement, rudement, complètement ; il n’avait rien compris à ce qui lui arrivait. Il se rappelait toutefois ce que Djemylèh lui avait dit. Hélas ! les paroles, une à une, comme des perles, étaient conservées dans son cœur ; mais, à force de les écouter, de les redire, de les écouter encore, de les considérer, il ne les comprenait plus, et il savait seulement qu’il n’avait pu répondre un seul, un unique mot ; il était bien misérable.

Sa mère le voyait s’éteindre. La poitrine du pauvre enfant s’embarrassait, une chaleur torpide le dévorait. Il s’en allait. Toutes les maisons voisines connaissaient son état, et, comme rien n’expliquait un mal si subit, on était généralement d’accord qu’un maléfice avait été jeté sur lui, et on se demandait d’où venait le coup. Les uns prétendaient savoir que les Mouradzyys l’avaient