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ils sont libres de gagner leur vie de mille manières ; toutes leur sont bonnes ; personne ne leur demande ni sévérité d’allures, ni respect d’eux-mêmes. L’Afghan, au contraire, pour être ce qu’il doit être, passe son existence à se surveiller lui et les autres et, toujours en soupçon, tenant son honneur devant lui, susceptible à l’excès et jaloux d’une ombre, il sait d’avance combien ses jours seront peu nombreux. Ils sont rares les hommes de cette race, qui, avant quarante ans, n’ont pas reçu le coup mortel, à force d’avoir atteint ou menacé les autres.

Enfin, le jour inclina sous l’horizon, et les premières ombres s’étendirent dans les rues : les terrasses supérieures étaient seules encore dorées par le soleil. Les muezzins, tout d’un accord, se mirent, du haut des mosquées, grandes et petites, à proclamer la prière d’une voix stridente et prolongée. Ce fut, comme de coutume, un cri général qui s’éleva dans les airs, affirmant que Dieu seul est Dieu et Mahomet prophète de Dieu. Mohsèn savait que chaque jour, à cette heure, son oncle et ses fils avaient l’habitude de se rendre à l’office du soir ; tous ses fils, sans aucune exception ; mais cette fois, il devait y en avoir une. Elèm, atteint de la fièvre, restait malade et couché depuis deux jours. Mohsèn était certain de le trouver dans son lit, la maison déserte, car les femmes, de leur côté, seraient à la fontaine. Depuis le commencement