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accrochées aux montants des portes, n’étonne ni ne fâche. Au milieu du massif des maisons, dont beaucoup sont à plusieurs étages, circulent, comme les artères dans un grand corps, ces vastes couloirs emmêlés, où s’alignent les boutiques des marchands, assis, fumant, répondant à leurs pratiques du haut des petites plates-formes, sur lesquelles sont rangées les étoffes de l’Inde, de la Perse, de l’Europe, tandis que, au long de la voie tortueuse, non pavée, raboteuse, tantôt étroite, parfois très-large, circule la foule des Banians, des Ouzbeks, des Kurdes, des Kizzilsbashs s’entassant les uns sur les autres, achetant, vendant, courant, formant groupes. Des files de chameaux se succèdent sous les cris de leurs conducteurs. Çà et là passe à cheval un chef richement vêtu, entouré de ses hommes, qui, le fusil sur l’épaule, le bouclier sur le dos, écartent rudement les passants et se font place. Ailleurs un derviche étranger hurle un mot mystique, récite des prières, demande l’aumône. Plus loin, un conteur, assis sur les talons dans une chaise de bois grossier, retient autour de lui un auditoire excité, tandis que le soldat, serviteur d’un prince ou d’un grand, ou simplement cherchant fortune, comme était Mohsèn, passe silencieux, jetant un regard de mépris sur ces gens de rien et timidement évité par eux. La vie est bien différente, en effet, pour eux et pour lui. Ils peuvent rire : rien que les coups ne les blessent ou les affectent. À moins d’un hasard, ils vivront longtemps :