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la main sur sa barbe, il était clair que le vieillard éprouvait un mouvement intérieur de puissant orgueil. Sa mère eut les yeux noyés de larmes et embrassa son enfant avec passion. C’était un fils unique. Il baisa la main de ses parents et sortit avec l’intention arrêtée d’exécuter trois projets, dont l’accomplissement lui semblait nécessaire pour entrer dignement dans la vie.

La famille de Mohsèn, comme on devait s’y attendre au rang qu’elle occupait, avait deux haines bien établies et poursuivait deux vengeances. Elle était un rameau des Ahmedzyys, et, depuis trois générations, en querelle avec les Mouradzyys. Le dissentiment avait eu pour cause un coup de cravache donné jadis par un de ces derniers à un vassal des Ahmedzyys. Or, ces vassaux, qui, n’étant pas de sang afghan, vivent sous l’autorité des gentilhommes, cultivent la terre et exercent les métiers, peuvent bien être malmenés par leurs seigneurs directs, sans que personne ait rien à y voir ; mais qu’un autre que leur maître lève la main sur eux, c’est là une offense impardonnable, et l’honneur commande à leur maître d’en faire une revendication aussi terrible que si le coup donné ou l’injure infligée étaient tombés sur un membre même de la famille seigneuriale. Le Mouradzyy coupable avait donc été tué d’un coup de couteau par le grand père de Mohsèn. Depuis lors, huit meurtres s’étaient accomplis entre les deux maisons, et les derniers avaient eu