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des brutes, et les Européens sont des sots. Moi, j’ai été élevé chez eux. On m’a mis d’abord au collège, et, ensuite, comme j’avais appris aussi bien que ces maudits ce qu’il faut pour passer les examens, j’entrai à leur école militaire, qu’ils appellent Saint-Cyr. J’y restai deux ans, comme ils font eux-mêmes, puis, devenu officier, je suis revenu ici. On a voulu m’employer ; on m’a demandé ce qu’il était à propos de faire. Je l’ai dit, on s’est moqué de moi, on m’a pris en haine ; on m’a traité d’infidèle et d’insolent, et j’ai été mis sous le bâton. Dans le premier moment, j’ai voulu mourir parce que les Européens regardent pareil accident comme un déshonneur.

— Les niais ! m’écriai-je, en vidant mon verre.

— Oui, ce sont des niais, ils ne comprennent pas que tout chez nous, les habitudes, les mœurs, les intérêts, le climat, l’air, le sol, notre passé, notre présent rendent radicalement impossible ce qui, chez eux, est le plus simple. Quand je vis que ma mort ne servirait à rien du tout, je refis mon éducation. Je cessai d’avoir des opinions, de vouloir réformer, de blâmer, de contredire, et je devins comme vous tous : je baisai la main des Colonnes du Pouvoir, et je dis oui ! oui ! certainement ! aux plus grandes absurdités ! Alors on cessa peu à peu de me persécuter ; mais comme on continue à se défier de moi, je ne serai jamais que capitaine. Nous connaissons tous les deux des généraux qui ont quinze ans et des maréchaux qui en ont