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moi : Tu vas la recommencer ! Je me sentis ivre de bonheur ! J’aurais voulu chanter, danser, pleurer, embrasser tous ceux qui se montraient à mon esprit, en ce moment de félicité suprême, et je me mis à pousser des cris d’angoisse.

— Imbécile ! me dit la femme, tu as bu du raky hier au soir, et peut-être encore ce matin. Si je t’y reprends jamais !…

Le mari se mit à rire.

— Tu ne l’y reprendras jamais, car il part aujourd’hui même, et, à dater de ce moment, je te le répète, Aga, tu es libre !

J’étais libre ! Je me précipitai hors de la tente, et je me dirigeai en courant vers la grande place au milieu du camp. De toutes les habitations sortaient mes pauvres camarades, aussi exaltés que moi : Nous nous embrassions, nous ne manquions pas de remercier Dieu et les Imams ; nous criions-de tout notre cœur : Iran ! cher Iran ! Lumière de mes yeux ! Et, alors, j’appris peu à peu comment il se faisait que nous sortions tout-à-coup des ténèbres, pour entrer dans une si belle clarté.

Il paraît que depuis la perte de notre armée et le commencement de notre captivité, il s’était passé bien des choses. Le Roi des Rois, en apprenant ce qui s’était passé, était entré dans une grande colère contre ses généraux, et les accusait d’avoir laissé ses pauvres soldats s’en aller tout seuls contre l’ennemi sans les