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Il y avait environ trois mois que je vivais là assez paisiblement, et je commençais à m’habituer à mon sort (en vérité, et comme je l’ai dit, il n’était pas très dur), quand un matin, me promenant désœuvré dans le camp, je fus abordé par deux autres esclaves, persans comme moi, soldats du régiment de Goum, qui me dirent savoir d’une façon certaine, et qui me jurèrent sur leurs têtes que nous allions être délivrés dans la journée et renvoyés à Meshhed.

On avait déjà fait courir ce bruit si souvent, et si souvent il s’était trouvé faux, que je me mis à rire et conseillai à mes camarades de ne pas trop croire à ce qu’on leur avait annoncé et de continuer à faire provision de patience. Cependant, en les quittant, je me trouvais, comme chaque fois que j’entendais de pareilles nouvelles, assez troublé et ému. Je sais bien qu’il se passe assez de vilaines choses dans l’Iran, et qu’on y trouve bien du mal ; pourtant, c’est l’Iran, et c’est le meilleur, le plus saint pays de la terre. Nulle part au monde on n’éprouve autant de plaisir ni autant de joie. Quand on y a vécu, on y veut retourner ; et quand on y est, on y veut mourir. Je ne croyais pas du tout à ce que mes deux camarades m’avaient dit, pourtant le cœur me battait et je me sentais triste, et si triste que, au lieu de continuer à me promener, je retournai chez mon maître.

Il venait précisément de descendre de cheval et je