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rien à emporter, et il fallait nous en revenir à l’étape avec notre surcroît de fatigue pour subir les mauvaises plaisanteries de nos camarades. Quand nous étions plus chanceux et que nous mettions la main sur les villageois, par Dieu ! le bâton faisait rage, nous tapions comme des sourds et nous revenions avec du blé, du riz, des moutons, des poules. Mais, ça n’était pas souvent, il nous arrivait aussi de rencontrer des gens cruels et hargneux qui, plus nombreux que nous, nous recevaient à coup de fusils et alors, il fallait prendre la fuite, trop heureux de revenir sans quelque pire aventure. En ces occasions là, qui ne possède pas de bonnes jambes, n’est réellement qu’un pauvre diable !

Il serait injuste de cacher que l’auguste gouvernement nous avait annoncé que nous serions fort bien nourris pendant toute la campagne. Mais personne n’y avait cru. Ce sont de ces choses que les augustes gouvernements disent tous, mais qu’il leur est impossible d’exécuter. Le général en chef ne va jamais s’amuser à dépenser pour faire bonne chère aux soldats son argent qu’il peut garder dans sa poche. La vérité est qu’au bout de quinze jours, n’ayant plus de riz à vendre, mes deux camarades et moi fermâmes boutique ; on n’eût pas trouvé deux malheureux pains dans tout le régiment, et nous commençâmes à manger les ânes. Je n’ai jamais vu de paysans plus féroces que ceux du Khorassan. Ils habitent dans des villages fortifiés ; quand un pauvre soldat s’approche, ils ferment