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Je les passai rapidement. J’avais l’air d’un prince, et je me précipitai hors de la maison. Je me promenai pendant deux heures dans tous les bazars. Les femmes me regardaient. J’étais au comble du bonheur. Je rencontrai alors deux garçons, engagés, comme moi, dans le régiment. Nous allâmes ensemble nous rafraîchir chez un juif. Ils partaient le soir même pour Téhéran et rejoignaient le corps. Je me décidai à m’en aller avec eux, et, ayant emprunté de l’un d’eux quelques vêtements, de l’autre le reste, je pliai avec soin mon magnifique costume, et, pendant que le Juif avait le dos tourné, nous gagnâmes la porte, puis la rue, puis la sortie de la ville, et, en riant à gorge déployée de toutes sortes de folies que nous disions, nous entrâmes dans le désert et nous marchâmes la moitié de la nuit.

Notre voyage fut très-gai, très-heureux, et je commençai à trouver que la vie de soldat me convenait parfaitement. Un de mes deux compagnons, Roustem-Beg, était vékyl, sergent d’une compagnie. Il me proposa d’entrer sous ses ordres et j’acceptai avec empressement.

— Vois-tu, frère, me dit-il, les imbéciles s’imaginent que c’est fort malheureux d’être soldat. Ne tombe pas dans cette erreur. Il n’y a de malheureux en ce monde que les nigauds. Tu n’en es pas, ni moi non plus, ni non plus Khourshyd, que voilà. Sais-tu un métier ?