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jamais connu et n’en avaient entendu parler que par sa femme, qui, de temps en temps, de loin en loin, trahissait l’espoir de le voir enfin arriver. Fait plus certain, la belle maîtresse du grand hôtel de Colchide à Poti s’était fait longtemps remarquer à Tiflis, sous le nom de Léocadie ; elle y avait été modiste, et l’armée du Caucase entière, infanterie, cavalerie, artillerie, génie et pontonniers (s’il y en a ! ), s’était inclinée sans résistance sous le pouvoir de ses perfections.

— Je le sais bien, dit Assanoff à Moreno en lui racontant en gros ces circonstances, je le sais bien ! Léocadie n’est ni jeune, ni très-jolie ; mais que voulez-vous faire à Poti ? Le diable y est plus malin qu’ailleurs, et, songez donc ! une Française, une Française à Poti ! Comment voulez-vous qu’on résiste ?

Il présenta ensuite son camarade à un homme fort grand de taille, vigoureux, blond, avec des yeux gris-pâle, de grosses lèvres, un air de jovialité convaincue. C’était un Russe. Ce colosse souriait, portait un costume de voyage peu élégant, mais commode, et qui trahissait d’abord l’intention arrêtée d’éviter toute gêne. Grégoire Ivanitch Vialgue était un propriétaire riche, une sorte de gentilhomme campagnard et, en même temps, un sectaire. Il appartenait à une de ces Églises réprouvées, mais toujours présentes dans le christianisme, à une de ces Églises, que les grandes communions extirpent de temps en temps par le fer et par la flamme, mais qui, pareilles aux traînés du chiendent,