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cousins dont j’avais été si jaloux. Dans le premier moment, j’eus quelques velléités de l’être encore ; mais ma femme se moqua de moi si bien, qu’elle me fit rire moi-même et ; d’ailleurs, Kérym était si bon garçon ! Je me pris pour lui d’une amitié extrême, et, à vrai dire, il le méritait ; car je n’ai jamais vu un rieur si déterminé ; il avait toujours à nous raconter des histoires qui me faisaient pâmer. Nous passions une bonne partie des nuits à boire du raky ensemble, et il avait fini, sur ma prière, par demeurer dans la maison.

Les choses allèrent ainsi très-bien pendant trois mois. Puis je devins de mauvaise humeur. Il y avait des choses qui me déplaisaient. Quoi ? Je ne saurais le dire ; mais Leïla m’ennuyait et je me pris à chercher pourquoi je m’étais si fort monté la tête pour elle. J’en découvris un jour la raison en raccommodant mon bonnet qui s’était décousu dans la doublure. Là je trouvai avec étonnement un petit paquet composé de fil de soie, de laine et de coton, de plusieurs couleurs, auxquels était mêlée une mèche de cheveux, précisément de la couleur de ceux de ma femme, et il ne me fut pas difficile de reconnaître le talisman qui me tenait ensorcelé. Je me hâtai d’enlever ces objets funestes et quand je remis mon bonnet sur la tête, mes pensées avaient pris un tout autre cours ; je ne me souciais pas plus de Leïla que de la première venue. En revanche, je regrettais amèrement mes trente tomans dont il ne me restait guère, et cela me rendit songeur et morose.