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favorable que prenait son affaire. Il admirait l’aveuglement de son chef à son égard. Mais il se savait si aimable que, au fond, il concevait tout. Il causa longtemps avec son ami ; puis, vers minuit, il se coucha dans la litière, à côté du cheval sacré, et s’endormit profondément. Tout d’un coup, une main vigoureuse le secoua par l’épaule : il ouvrit les yeux ; devant lui se tenait le mirakhor, le chef de la mangeoire, personnage redouté qui a le domaine des chevaux et des écuries dans toute grande maison et auquel obéissent même les djelôdars ou écuyers.

— Garçon, dit-il à Gambèr-Aly, tu vas décamper d’ici et haut le pied, à moins que tu n’aies 50 tomans à donner à ton maître, le ferrash-bachi, autant à Assad-Oullah, le pishkedmèt, et tout autant à ton esclave. Si tu ne veux pas ou si tu ne peux pas, en route !

— Mais on me tuera ! s’écria le pauvre diable.

— Que m’importe ! Paye ou sors !

En parlant ainsi, le mirakhor qui était une sorte de géant, un Kurde Mâfy, véritable fils du diable, comme ses compatriotes s’en vantent, enleva Gambèr-Aly par le cou avec autant de facilité qu’il eût fait d’un poulet, le traîna, malgré ses cris et ses efforts, jusqu’à la porte de l’écurie, et, là, le regardant en face, avec des yeux de tigre, il lui cria :

— Paye ou pars !

— Je n’ai plus rien ! hurla Gambèr-Aly, et, par un hasard qui ne s’est pas renouvelé souvent, il disait