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lisses, le plus attrayant, le plus séduisant mélange de peintures, de dorures et de glaces. De riches tapis couvraient le sol élevé, à six pieds environ au-dessus du niveau de la cour, et, là, appuyé sur des coussins, Son Altesse le Prince-Gouverneur, lui-même, daignait déjeuner d’un énorme plat de pilau et d’une douzaine de mets contenus dans des porcelaines, entouré de plusieurs seigneurs d’une belle mine et de ses principaux domestiques.

Des trois côtés de la cour que n’occupait pas le salon, deux étaient en décombres, le troisième présentait une rangée de chambres assez habitables.

Gambèr-Aly se sentit très-intimidé de se trouver, en propre personne, dans un lieu si auguste, et, en même temps, il se trouva grand comme le monde, rien que pour avoir eu l’heureuse fortune d’y pénétrer. Désormais, il lui sembla qu’il n’avait plus d’égaux sur cette terre, puisqu’il appartenait à un parangon d’autorité qui, sans que personne y trouvât à redire, pouvait le faire mettre en tout petits morceaux. Avant d’être entré dans cette royale demeure, il était parfaitement libre de sa personne, et jamais le Prince-Gouverneur, ignorant son existence, n’eût pu aller le chercher. Désormais, devenu « nooukèr » domestique, il faisait partie de la classe heureuse qui comprend le dernier marmiton et le premier ministre, et il pouvait avoir la joie d’entendre le Prince s’écrier, avant un quart d’heure ; « Qu’on mette Gambèr-Aly sous le