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des récits de voyages, tantôt des récits de batailles ; souvent les questions les plus ardues de la métaphysique étaient agitées par ces cerveaux rustiques, comme il est d’usage dans tout l’Orient, et on écoutait volontiers les observations de Kassem, car on s’apercevait qu’il avait étudié. Quant aux choses nécessaires de la vie, il trouvait partout aisément une natte pour se coucher et sa part de pilau. Il s’était informé à plusieurs reprises de celui qu’il allait rejoindre. On l’avait vu passer : il pensait que l’Indien ayant sur lui peu d’avance, il le rejoindrait aisément.

Le neuvième jour du voyage, il s’avançait, comme à l’ordinaire, d’un pas allègre, et regardait sans ennui et sans fatigue l’étendue infinie du désert pierreux, ondulé, coupé de ravins, de rochers, de mamelons, bordé, bien loin à l’horizon, de deux rangées de montagnes magnifiques, colorées comme des pierreries par les jeux de la lumière, quand il sentit au fond de son âme une compression inattendue, une émotion spontanée, une douleur, un appel. Son âme, se tournant pour ainsi dire sur elle-même, lui dit :

— Amynèh !

Elle l’avait dit tout bas. Il l’entendit pourtant et, avec lui, son cœur l’entendit, et avec son cœur, toutes les fibres de son être et tous les échos qui étaient dans sa mémoire, dans sa sensibilité, dans sa raison, dans son imagination, dans sa pensée, tout cela, se réveillant, se mit à crier avec passion :