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sage, ne sont nullement si fortes, ni si dures à briser, que le commun des hommes se l’imagine. Inépuisables dans leur essence, elles n’ont qu’un semblant de puissance, et, quand on met violemment le pied dessus, elles gémissent d’abord, puis se taisent, et, comme des ombres qu’elles sont, finissent bientôt par s’anéantir devant la volonté inexorable. Qui en doute ? Les âmes faibles ; mais nous, qui sommes faits pour la domination du monde, des autres hommes et surtout de nous-mêmes, nous savons qu’il en est ainsi. Quittez votre maison, partez, et votre tête, débarrassée de soucis nuisibles, ne sera pas plutôt dans l’air libre, que vous vous étonnerez des craintes dont votre imagination voit en ce moment les fantômes, et qui n’oseront pas même vous assaillir.

Et il en était ainsi. Kassem ne pensait à Amynèh que comme à un rêve lointain et qui n’a plus d’action sur l’esprit ; et, tout entier, comme on vient de le voir, a la dévotion de ses idées immenses, il lui semblait flotter sur leurs ailes. Il se reconnaissait calme et heureux.

Huit jours se passèrent ainsi. Chaque soir, il entrait dans un village et s’asseyait sous l’arbre qui masquait le milieu de la place principale. Les plus âgés des paysans, le moulla, quelquefois un ou plusieurs autres derviches, des passants comme lui, venaient se mettre à ses côtés, et une partie de la nuit s’écoulait dans les entretiens de la nature la plus diverse. Tantôt c’étaient