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suivit, puis revint au bout d’une heure. Il était seul avec le petit esclave nègre. On l’attendit encore un peu. Alors, l’esclave vint allumer un grand feu au milieu de la place la plus vaste du quartier, et, quand le bûcher flamba tout haut, Kassem parut dans la rue à son tour.

Il avait la tête et le buste nus, les pieds et les jambes nus et ne portait qu’un caleçon de toile blanche. Il tenait à la main les habits qu’il avait mis la veille, pantalon de soie rouge, koulydjèh de drap d’Allemagne gris, passementé de noir, djubètz de laine de Verman rouge à fleurs, et bonnet de peau d’agneau très-fine. Il marcha vers le bûcher ; il y déposa tous ces vêtements qui furent consumés sous ses yeux. Il faisait ainsi vœu de pauvreté et d’ascétisme. La multitude le regardait faire ; elle était très-émue. On l’aimait. Quoi d’étonnant ? On l’avait connu tout petit ; il était jeune, il était beau ; jusque-là il avait toujours été heureux et s’était montré obligeant pour les uns, très-charitable pour les autres. Les femmes pleuraient ; quelques-unes criaient, agitant leurs bras et disant : Quel malheur ! Quel malheur ! Au fond, on était profondément édifié. Aux yeux de ceux à qui les domestiques avaient expliqué l’affaire, Kassem était l’esclave dévoué de la science et du renoncement, et rien ne semblait plus beau.

Quand le sacrifice fut fini, le nouveau derviche s’écria d’une voix stridente, à la façon de ses confrères :