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une seule idée le possédait : marcher et marcher résolument dans la voie de son révélateur.

Que valait le monde au milieu duquel il avait vécu jusqu’alors ? Rien, rien absolument ; c’était de la fange au physique, de la fange au moral ; en un mot, néant. Il voulait s’élever plus haut et planer au-dessus de cet univers, entrer dans le secret des forces qui font tout mouvoir, et cet univers, et bien d’autres plus grands, plus braves, plus augustes. Il savait que la substance première pouvait être trouvée, dominée, transformée ; l’Indien le faisait ; il en tenait, lui, Kassem, la preuve matérielle dans la main ; il voulait le faire aussi ! Il savait qu’on pouvait saisir, diriger toutes les forces motrices et créatrices, même les plus indomptées, même les plus sublimes ; il voulait ce pouvoir ; il savait qu’on pouvait ne plus mourir. Sans doute aucun être ne meurt ! Mais il savait qu’on pouvait garder la vie actuelle, sous l’enveloppe actuelle, sans perdre la notion de l’individualité présente. Eh bien ! c’était là ce qu’il prétendait atteindre. Alors, dans un moment d’enthousiasme sans nom, en pensant à ce que lui, Kassem, allait devenir, il s’écria :

Et moi, moi, qui suis moi, ai-je donc tant de peine à entrer dans la sphère où désormais je vais agir, que me voilà conservant entre mes doigts ce morceau d’or, absolument comme s’il avait à mes yeux la valeur que je lui attribuais hier ?