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les âmes soient fortes pour jouir de si sublimes prérogatives ; il faut qu’elles aient su les trouver et les prendre. Il faut la science !

— Et mieux que cela, répliqua le derviche. Il faut le renoncement, la macération, la soumission complète du corps à l’esprit, et la pureté absolue du cœur, et ce ne sont pas des mérites qui s’obtiennent sans peine et sans travail. Mais c’en est assez sur ce sujet.

— Non ! oh ! non ! s’écria Kassem, en attachant sur son hôte des yeux brûlants de désirs ; non ! puisque j’ai le bonheur d’être ainsi à vos pieds, ne me retirez pas si vite vos enseignements ! Ne fermez pas la source dont vous m’avez laissé prendre une gorgée ! Parlez, mon père ! Instruisez-moi ! Enseignez-moi ! Je saurai ce qu’il faut faire ! Je le ferai ! Je ne veux plus traîner dans le monde cette existence inutile et vide qui, jusqu’ici, a été la mienne.

Kassem venait d’être saisi de la plus dangereuse des convoitises : celle de la science ; ses instincts endormis s’éveillaient et ne devaient plus lui laisser un moment de trêve. Le derviche commença alors à lui parler à voix basse. Il lui révéla sans doute des choses bien étranges. La physionomie de l’auditeur était bouleversée. Elle passait à chaque minute par les expressions les plus diverses et subissait les changements les plus brusques. Tantôt elle exprimait une admiration sans bornes et presque un état extatique. Il semblait, à voir ces yeux noyés, ce regard perdu vers