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Le bateau, comme dernière ancre, redonnait à la terre la femme du commandant, et il tournait par petits coups comme un cheval qu’on selle. Au lieu de sonner comme d’habitude pour le déjeuner du départ, puisque c’était dimanche, le steward sonnait pour la messe. Des affamés s’y trompaient et arrivaient surpris, l’eau à la bouche, en présence de Dieu. C’était une vraie messe, dite dans la salle à manger par un lazariste qui rentrait au Pérou et avait avec lui, faveur spéciale à son ordre, les vases sacrés. Naki refusait de s’y rendre, Nenetza l’insultait, affirmant que l’âme est immortelle ; puis, désolée d’apprendre qu’elle n’avait pas vu le dolmen sur la place de Saint-Nazaire, dédaignant la dernière verdure, la dernière église, la foule endimanchée, ne cherchait plus qu’à entrevoir la pierre la plus usée et la plus morne d’Europe. Des voisins, à la voir si triste et si agitée, la plaignaient, ne devinant pas qu’elle se séparait seulement d’un dolmen inconnu. Mais déjà le dernier des moineaux venus pour picorer sur le pont s’envolait…

— Amour !… — disait Nenetza.

Deux cuisiniers en retard, ivres, suivaient le môle en faisant des signes et des grimaces au navire. Des enfants les imitaient, et titubaient. De notre place, les gens qui restent à terre semblaient