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Je retrouvai Nenetza une heure plus tard, accoudée au bastingage, suivant les adieux, insensible à des séparations qui semblaient déchirantes, émue et atterrée devant des gens qui se pressaient simplement la main, puisqu’elle distinguait sans jamais s’y tromper les larmes filiales, fraternelles ou seulement avunculaires, — interrogeant et moi et le steward d’une phrase pourtant simple mais qui ordonnait je ne sais quelle réponse poétique, comme celles de sœur Anne.

— Qui sont-elles ces centaines de voyageurs sans bagage qui gravissent l’autre bateau ?

— Elles sont les forçats qui partent pour la Guyane.

C’était en effet une file par deux de forçats. Un morceau de lettre déchirée traînait à terre, tous se bousculaient un peu et ralentissaient le pas, pour essayer d’y lire.

— Qui est-ce ce type de dame si belle, si hardie ?

— Il est la señora Subercaseaux, de Bahia, qui voyage avec ses singes. La seule qui ait obtenu des chimpanzés en cage. Pour la naissance du dernier on manda le cinématographe…

Maintenant nous partions. Comme j’avais trop fortement gonflé ma poitrine de cet air nouveau, et que j’expirais, je sentis ce nouveau sol bouger.