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Pavillons. Un jour je tombai. Je me surpris à la recherche de quelqu’un qui m’aurait cherchée. Un après-midi je l’aperçus enfin assis dans un jardin ; il ne me voyait pas, il avait les deux bras passés derrière la barre du banc, une guêpe l’attaquait sans cesse. Au moindre tressaillement il allait être piqué. J’abattis la guêpe et l’écrasai. Puis je m’éloignai, d’une ardeur qui me fit tuer une seconde guêpe, qui jamais ne l’eût menacé, un perce-oreille, à terre cependant et loin de toute oreille, et je brisai la branche basse d’un arbre bien peu vénéneux, d’un tilleul. Puis, — que risque-t-on quand on part dans quinze jours pour contourner le monde ? — pour la première fois, de bien plus loin d’ailleurs que je ne voulais le faire avec le globe, je tournai autour d’un homme ; ennuyée de ne pas avoir été élevée avec lui depuis l’âge de deux ans, désolée de ne pouvoir me rappeler au juste la couleur de ses cheveux, navrée de n’avoir pas de miroir pour lui envoyer un rond de soleil, désespérée de n’être pas sa fiancée, sa femme. Tout heureuse, si heureuse d’être libre, et de ne le connaître jamais !

Soudain, sans que mes yeux pourtant se fussent détournés de lui et comme dédoublé en un quart de seconde par cette attention que je lui accordais enfin, je le vis debout et près d’une jeune fille. Il