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je cherchai la fumée du geyser de l’autre île… J’avais trouvé… deux fumées montaient.

Ce n’était pas un mirage. Il y avait deux fumées, et pas quatre îles, et pas deux lignes de brisants. Sur cette aube encore fraîche, je voyais s’imprimer l’haleine des hommes… Les hommes vivaient encore… Si j’avais eu de meilleurs yeux, peut-être aurais-je pu apercevoir une troisième fumée, toute petite, celle d’une cigarette ou d’une pipe !… Au faîte de mon cocotier, je fus soudain inerte, comme si c’était là que je me maintenais depuis cinq ans ; quelques minutes encore, et je n’aurais plus supporté la solitude ; que la fumée eût paru à huit heures, et non à sept, et il eût été trop tard, j’avais lâché tout. Si bien que je le lâchai vraiment, et tombai, le plus mûr de ses fruits… J’étais au bord de la mer, je me jetai dans le Kouro-Shivo comme dans un taxi.

J’étais trop légère ce jour-là pour l’eau salée. J’en sortais parfois tout entière. Je me retenais et me faisais lourde, par peur qu’on ne m’apercût de l’autre rivage. Le livre du naufragé m’avait révélé les coutumes des archipels voisins et de leurs races, et il y avait de quoi me rendre méfiante. Si c’était le vent d’Ouest qui avait soufflé la nuit, l’arrivant venait de Haühaü, où l’on divinise les blanches. Mais s’il avait soufflé de