Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cables, mais avec ce Français blond un peu bougon, à grande jaquette, près de qui nous vivions, passionnées, dans une fausse crainte ; et ces aveux en plein salon à celui qui ne veut pas comprendre ; et cette fuite devant celui qui nous poursuit ; et cette décision de s’abandonner à tous, — à personne ; et cette soif de modestie, d’effacement ; et tous ces millions, et ces orgies, et ces honneurs : tout cela s’agitait en nous, de la taille à peu près de souvenirs d’un an. Appuyées l’une sur l’autre, nous hissant l’une sur l’autre pour aspirer la nuit, nous nous laissions allaiter par un doux monstre noir ; la bouche ouverte, mais muettes ; les yeux élargis, mais sans lueurs, et le gros diamant de Marie-Sévère était notre seule réponse, digne d’ailleurs, il venait de Tobolsk, à tant d’ombre, à tant d’éclat.

Un renard qui mangeait les baies d’un genévrier nous faisait peur. Nous redescendions vers la ville à grands pas d’homme. L’image du petit renard qui mange nous rassurait. Autour de chaque maisons les gaillardes, les dahlias, les soleils et les crêtes de coq entassés semblaient en avoir été expulsés pour purifier l’air du dormeur. La pleine lune, un nuage à la place où nous voyions parfois ses yeux, se donnait le secret d’une lune masquée. Nous longions le cimetière dénudé et lumineux