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même, de l’amadouer, de l’attirer. J’avais dit du mal de Werther, je l’avais trouvé, à mon brevet, plus menteur que sensuel, plus bourgeois qu’élevé ; et, une autre fois, j’avais indiqué à un Allemand sur sa Mercédès la route de Limoges quand il demandait la route de Poitiers. Il avait vu Saint-Martial au lieu de Sainte-Radegonde. Voilà ma petite part dans cette guerre : J’avais irrité contre nous l’ombre de Werther et un capitaine de réserve…

Je lisais. Je lisais des pages obscures. Je voyais la France guidée par des noms inconnus, Joffre, Pétain ; je voyais qu’il y avait eu chaque jour un communiqué et que le 911e seulement m’arrivait. J’apprenais que ce gros bateau, le seul sur lequel jadis j’avais compté, le Lusitania, était coulé ; je découvrais qu’on tue en avion, qu’on lance des gaz. J’eus une description en quatre colonnes de l’expulsion de M. Dahlen de l’école allemande de Shanghaï, tous les détails sur la fidélité du Siam aux Alliés, sur le dévouement de la Cochinchine, le nom de tous les donateurs de la fête de charité de Hanoï, celui de tous les passagers et indigènes de Macao coulés sur le Tokyohara. J’appris que le grand-amiral vivait à terre, le général en chef dans une péniche. J’aurais tout compris de la guerre sans une phrase insoluble qui dans chaque