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Ce fut d’eux que je m’enrichis, ils étaient chargés de bagues, de bracelets, de chaînes d’or ; leurs ceintures, leurs portefeuilles, leurs poches étaient d’un caoutchouc que l’eau n’avait pu entamer, et tous par loi d’empire étaient devenus imperméables à la mer, par cette loi qui leur impose au contraire un visage et un cœur perméables, sensible au vin et aux châteaux, quand ils pénètrent dans la France, avides de ses saisons. Déjà je sentais en effet la France menacée elle aussi de la guerre ; dans chaque corps, je cherchais un signe qui m’indiquât laquelle des deux équipes était morte pour moi ; j’espérais le deviner en me relevant soudain, en les embrassant d’un regard… Rien encore. Pas un signe. Et je me baissais pour ma récolte de plaques d’écaille, de pierres précieuses, d’algues et d’insectes conservés dans des herbiers, de tout ce que ce râteau à sept dents avait raclé du Pacifique. Ce n’est que dans le portefeuille du dernier Allemand que je trouvai le Petit Éclaireur de Shanghaï, et un titre en lettres immenses m’apprit qu’en Champagne, — c’est la première de nos victoires que je connus, cela m’aida à supporter la nouvelle, — une de nos patrouilles avait ramené un prisonnier…

J’étais seule avec mes alliés…

Parfois, lasse de tirer sur un corps trop lourd,