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En vain j’avais essayé avec ma loupe d’allumer une écorce à cette lueur. Il me fallait pour faire un feu attendre le soleil… Soudain un dernier coup de canon retentit, plus lointain, mais plus sec. Une sorte de coup de revolver pour achever une bête morte, un homme fusillé : le premier que je compris… Le premier qui m’annonça que les rois n’avaient pas de fils, les capitaines pas d’anniversaires, la France pas de 14 juillet… qu’il y avait la guerre !

C’est avec le premier rayon de soleil que mon feu fut allumé, le plus pur rayon, le plus froid, mais j’avais préparé mon bûcher de feuilles sèches, d’amadou, de liège. Il flamba. Pour la première fois je laissais la flamme mordre sur les arbustes, les gazons voisins… J’étais prête à brûler mon île comme d’autres brûlèrent leurs vaisseaux… Mais du secret terrible de la veille rien ne transparut sur le jour… Les vols d’oiseaux, dégagés de l’écheveau d’hier, étaient redevenus des fils brillants et droits. Un soleil ignorant brillait. Les ptemérops, les adjudants avaient tout oublié… Cette peine qui partait de ce matin ne m’était plus commune avec l’île et ses habitants, et je me sentais une nouvelle