Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noblesse que ne peut le faire en Europe la solitude du génie. Égale à ces trois hommes, je les appelais… Je me relevais parfois pour arranger de mes mains les tisons de mon petit foyer… Si n’en jaillissait aussitôt une grande flamme bleue, suivie d’une flamme rouge, Rimbaud perdait sa femme… Puis, assoupie, divaguant sur les deux ou trois phrases que j’avais entendues à leur sujet, je voyais Mallarmé donner aux paroles un pouvoir physique, des arbres pousser à sa voix, s’arrêtant une seconde aux rejets, formant un nœud aux métaphores ; comme une lotion un vers de Mallarmé donner une nouvelle flore à des coins de jardins, à des tonnelles. Puis, à chaque objet, à chaque arbre, à chaque humain, à toutes ces apparences enfin que jamais nous ne pourrons toucher, Claudel, après les avoir meurtries en un point attachait là du moins une comparaison, qui se remplissait aussitôt, par je ne sais quelle loi des vases communicants, de sang, ou de sève, de résine, de liquides premiers… Un bruit sourd près de moi suivi d’une douce odeur, c’est que la noix de coco en tombant s’était ouverte… Toutes les huîtres s’ouvraient au fond des eaux et se ripolinaient de nacre… Une roussette volait du figuier m manguier,… Mallarmé ne la voyait pas.. Rimbaud lui prenait la tête, l’orientait de ses mains,