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C’était bien la tendresse d’Europe qui consiste à caresser un animal vivant, point celle d’Asie qui est de se tuer pour son chef, point la tendresse américaine, qui est de feindre, en dansant, d’avoir le pied pris à du chewing gum tombé à terre et d’amuser ainsi sa danseuse. J’essayai de saisir une de ces mille bêtes. Mais les plus familières à mon cœur s’enfuyaient le plus vite, et il ne me resta après une heure de course qu’un tatou, dont je ne savais que faire et qui attendait, stupide, comme au colin-maillard quand on vous a fait prendre un passant inconnu. Je cherchais, à défaut d’eux-mêmes, à atteindre leurs petits, à trouver un nid de chats sauvages, de renards, de blaireaux ; en vain. Une sarigue passa, que je ne pus fouiller. Les singes continuaient leur vacarme, tournant autour de l’île et s’ameutant de distance en distance comme les fanfares, au premier janvier, dans les bourgs, qui vont souhaiter la bonne année aux membres d’honneur. Parfois à un craquement, je les devinais au-dessus de moi, silencieux et immobiles jusqu’à la seconde où l’un d’eux, après un faux geste, devait choir, obligé de revenir chercher presque jusqu’au sol son adresse de singe. Alors ils battaient en retraite assourdissante… Mais déjà, attirée par des bananes toutes décortiquées dont je semais ma route, par