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tions, et nous l’avions rendue autoritaire. Elle semblait parfois nous céder, mais, dès la fin de sa réponse, avait repris sa volonté…

— Tu n’auras plus de glace, Marie-Sévère.

— Non, je n’en aurai plus… J’en veux…

Muette et gênée, dès que notre conversation de pensionnaires prétendait s’élever, que nous parlions de la patrie, des mariages secrets, des supplices chinois, comme si de tout cela elle avait une expérience intolérable. Elle est morte chez moi, dans ma chambre, et moi, toute cette semaine, c’est dans son lit, chez elle, que je couchai, retrouvant au réveil tous ses vêtements, ses meubles, son savon, triste d’habiter son corps même. Juliette et Victoria m’évitaient : j’avais son parfum. Elle mourut lentement, sûrement, consumée comme ceux qui se dévouent et portent sur eux un sachet de radium, et d’elle toujours oisive, égoïste, nous est resté le même souvenir que si elle s’était dévouée à une grande cause. Elle voulait être préférée de chacune de nous, et à chacune laissait croire qu’elle la préférait. Nous étions réunies autour d’elle le jour de sa mort :

— Bonheur de mourir — dit-elle seulement, devant celle qu’on aime !

On devinait qu’il n’y avait pas d’s à celle, aussi nettement que si on l’avait lu.