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la divinité ; et quand les parfums s’en mêlaient ; et quand l’odeur des glycines devenait si forte que je fronçais les sourcils comme en Europe quand le gaz est ouvert ; et quand chaque futur démon, croyant me tenter en me laissant lui choisir jusqu’à son sexe, se mettait à ma merci pour son genre d’amour ; quand il eût suffi de mon consentement, d’un clignement de mes yeux pour leur faire cette liberté que seule, à mille lieues à la ronde, je pouvais donner ; quand j’entendais soudain, au milieu de leur voix déjà familière, le cri nouveau d’un collègue venu du bout de l’Océanie, en m’apprenant ici ; quand ils m’assiégeaient, dédaigneux de quelque vraie reine polynésienne d’une île voisine, parce qu’ils me savaient, élève de la pension Savageon, plus riche en mots magiques, en noms illustres, plus nourrie de poèmes et de gloires et qu’ils désiraient tout à coup un titre européen ; quand je chassais le vent de la main comme chez nous un insecte, la mer du pied comme chez nous un chien, mer imbécile qui s’offrait toute en ce moment même pour échanger son terrible nom plébéien contre un petit mot caressant ; quand je leur disais : tu ne me feras pas dire que tu es Éole, que tu es Orphée, tu n’es que le vent, tu n’es que le catleya, tu n’es que la mer ; et que le soleil et la lune au-dessus de ces