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je vis une liane se détacher, nager, accoster, s’enrouler autour d’un arbuste : un boa. Je le tuai le soir même, dans son sommeil, mais non sans qu’il eût mangé deux gourahs… Une semaine plus tard, c’est par en haut, comme les assiégés par les aviateurs, que je fus ravitaillée en crainte ; un épervier, qui, lui, avant d’être atteint par ma fronde, eut le temps de goûter un spécimen de tous mes oiseaux. Puis, sur un de ces îlots dérivants, je crus apercevoir une bête à pelage, ocelot ou couguar, que j’empêchai de se jeter vers moi en le menaçant tout le long de la grève d’une branche allumée…

J’étais touchée des dangers qu’avait enfin courus mon île. La seule attaque peut-être que devait y faire le mal, la Providence m’avait mandée de Bellac pour y répondre. Mon cœur avait battu trois fois, comme chez ceux qui vont aimer… Un jour aussi, je découvris un alligator de vingt centimètres ; je savais qu’il lui fallait bien des années pour devenir terrible, dix ans au moins pour mordiller avec fruit l’ornithorynque, vingt pour saisir par la patte un échassier ; jusqu’à nouvel ordre je le gardai dans un bassin, puis il disparut, et il n’y eut plus d’hypothèque, même à dix ans, sur mon animal ou sur ma main, même à vingt ans sur mes oiseaux.