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du mal que j’ai dit à tort dans ma vie ; j’ai dit que les vêtements des civils sont d’affreuse couleur ; je pense ce soir qu’avec un évêque en gala, avec ces hommes de Biarritz qui ont des pantalons rouges, avec quelques-uns de ces vignerons bleus qui sulfatent les vignes…

Ici s’interrompait la lettre… et je dus m’interrompre. J’ajoutai tout juste une phrase où je ne retirais rien du mal dit par moi des lézards et de leur peau. Mon gardien parcourut la copie, la porta au contrôleur Hofmann, qui me regarda, regarda Lili David m’envoyer un dernier baiser et laissa passer, non sans avoir fait copier mon manuscrit par la petite Kramer, l’ancienne dactylo du cruel Egelhofer. Lili, par retour du courrier, pour amorcer la seconde lettre, m’écrivit :

— Cher petit Heinrich, crois-tu à l’été ? Que penses-tu des Musset ? Que font tes cousins Schornbach ?

Je répondis :

— Mon ange, ma lumière, crois à l’été. Rends-moi cette justice que je n’ai pas encore évité une seule fois, si furtive qu’elle fût, l’occasion de parler du printemps et de l’été. Le jour n’est pas loin, d’ailleurs, où je ne résisterai plus qu’à l’hiver. Mais que le bel été de l’an dernier me paraît morne auprès de cet été pluvieux ! J’étais pourtant dans une auberge qui n’était autre que celle du Petit-Morin et de l’Œuf dur. Ce doux vent, que les Français appellent le faux mistral, et les Allemands la vraie tramontane, retroussait pourtant les lilas débarrassés déjà pour l’année de toute fleur et de toute ambition, pour le reste de l’année purs comme l’herbe.