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lait, d’un langage parvenu à son évolution dernière, l’hallocose. Jamais le linguiste Forestier ne se doutera de la stupeur avec laquelle la Comédie-Française apprit par moi ses découvertes ; que chez les peuples sauvages les mots des hommes sont interdits aux femmes, qui durent, malicieuses, inventer le langage des gestes ; que deux petits enfants enfermés et servis silencieusement depuis leur naissance se crient entre eux un langage phrygien et appellent le pain Bécos. Ventura, Dussane et voisines ne réclamèrent plus leur pain et leur gâteau que par le cri de Bécos au maître d’hôtel, qui comprenait en effet… Molière, au lieu de conseils, dispersait la vie et la bonté sur les cabots et les consuls, comme on doit les nommer aussi en Phrygie, et quand Forestier se leva, à voir ce grand Français blond ne faire aucun des gestes trop humains auxquels ses amis étrangers l’avaient habituée, ma voisine fut prise, par je ne sais quel contre coup, d’une admiration forcenée pour Molière. Quand Forestier désigna le buste du poète d’un doigt qu’il n’avait jamais mis dans ses oreilles, elle cria : « Vive Alceste ! » Quand il lut sa communication sut le Bourgeois Gentilhomme et sur les aires géographiques des phonèmes, découvrant aux dentales une double mâchoire qui n’avait pas rongé ses ongles et scandant les gutturales d’une main gauche qui n’avait pas massé son tendon d’Achille, elle cria : « Vive la Béjart ! » Si bien que le gros Caldear insoucieux soudain de sa demi-fistule à l’œil et de sa démangeaison au crâne, se mit à applaudir, de deux bras minces terminés par de beaux index à ongles plus beaux encore, ce qui fit pleurer ma voisine, car il lui semblait que c’était