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et humbles de leurs grandes qualités, — dont la moindre était de remplacer les touches noires des pianos par de l’ivoire mordoré, — n’entrant à la chapelle qu’inondées de voiles, se baignant nues, entre ces deux extrêmes imaginant une gamme complète, le décolletage pour le thé dans le Monoptéros, le travesti à crevés pour les dîners dans la Grotte bleue, un seul bras nu pour la lecture au pavillon Velleda, se dorant un soir des pieds à la tête et se détachant soudain, dans le parc, sur le passage du romancier, du soleil et des gigantesques Statues dorées de Flore et de Ninon auxquelles elles étaient collées, Emma et Amalia de Hohenriff donnaient chaque jour à Schwanhofer le spectacle, à peine truqué dans ce décor, des antinomies qui animent le corps-âme des ondines, des walkyries et des femmes, — la vue de la cadette corroborant plus qu’une preuve la vue de la première. J’avais eu l’autorisation d’approcher Schwan (on l’appelait tout court le Cygne), car Fritzi, qui était du comité de la Liga, avait ébruité pour ma gloire mon attente d’un jour, et de la part d’un fournisseur j’apportais à Amalia un sachet de cette poudre d’or dont on faisait au château une telle consommation. Il vivait dans une aile réputée romantique, où les murs de stuc cédaient sous les doigts, mais dont le parquet et les plinthes étaient de marbre noir, et où la petite Eva avait tout avantage à se cogner et non à tomber. Il avait une tête de mari parfait, non pas exactement la tête de ceux qui seront ou sont trompés, mais de ceux qui l’ont été à foison dans une existence antérieure par je ne sais quels êtres, que des raisons de conservation et de politesse humaines protègent