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sur Québec que depuis hier dans mes visites on m’avait habitué à recevoir, dédain pour le Canada auquel je fus étonné de me trouver sensible. Elle discuta l’utilité des leçons de Kleist, et se réjouit tout haut de la décision des maîtres de langue bavarois qui avaient décrété dans les gymnases de remplacer le français par l’espagnol. Elle se félicita que les professeurs de maintien, de la Souabe à la Franconie, eussent approuvé en chœur le boycottage, s’engageant a remplacer désormais la révérence française par un pas qu’ils venaient d’inventer et qui s’appelait révérence Meyer-Goya. J’avais peine à reconnaître dans cette personne revêche la fille du bon vieux Schwanhofer.

Schwanhofer, mort depuis douze ans, avait été de 1880 à 1900 le romancier allemand le plus aimé des femmes, et la carte postale de sa main tenant une plume de cygne (Die Schwanfeder) avait battu le record de vente atteint par la photographie du cœur d’Hebbel et du front de Beethoven. Dès son premier roman, comme si tous les auteurs jusqu’à ce jour ne les avaient que calomniées et insultées, les femmes bavaroises s’étaient constituées en ligue (Die Schwanhofer Frauenliga) pour surveiller en lui et développer au besoin cette conception merveilleuse et enchantée du démon-ange féminin, du démon-ange munichois en particulier, et assurer audit démon une publicité éternelle. Toute personne, homme ou femme, qui eût pu le troubler dans sa dévotion, avait été impitoyablement écartée, et deux jumelles l’avaient Séquestré au nom de la Liga dans le château de Linderhof, prêté par le roi Otto. Vertueuses toutes deux mais passionnées, belles et modestes, fières de leurs petits défauts