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passent un peu désappointés le bras à travers toute ma guerre. Mais aujourd’hui ils tombent bien, et j’avoue tout, et j’ai des raisons aussi de m’en souvenir :

— Voilà un an ? insiste l’orfèvre.

— Un an ? Quel jour c’était ? C’était le jour le plus long de l’année. Ma fête allait bientôt venir, tout en haut du printemps, comme un portrait cloué au-dessous, juste au-dessous de la frise. C’était un jour où se baignaient une lune et un soleil tous deux entiers. Un soleil allongé, transparent,

— je le reconnaîtrais, si je le voyais, — percé de part en part par ses propres rayons. Soudain, le vent se leva, puis la rafale, un objet me frappa au visage ; pas de sang, ce n’était pas une balle : c’était une carte de visite, je la ramassai, je lus le nom : c’était la carte de mon lieutenant disparu depuis deux mois, que nous croyions depuis deux mois en France, jouant au jacquet, qu’il adorait. Le crépuscule vint ; avec son ancien ordonnance, je me glissai devant les lignes et il était là, à demi enterré ; l’ordonnance le reconnut à ses jambières neuves : de ses poches coupées par un rôdeur tombaient des lettres, et une autre carte de visite, toute prête à m’appeler au prochain ouragan… Il se tait.

— Voilà deux ans ?

— Encore ma fête. Mais cette fois c’était la nuit. Près de moi dormait Juéry monté aux tranchées pour me voir et qui répondait « Invité » chaque fois qu’un chef de patrouille le secouait. De petites étoiles se logeaient dans les plus