nourrissent les Français. Chaque fois que nous portons un
verre à nos lèvres, selon qu’il est blanc ou rouge, nous
sourient, — chez nous c’est un usage, mais chez eux c’est
l’instinct, — tous les blonds ou tous les bruns. Chacune des
immenses baies, car c’est la salle des concerts, porte l’écusson
d’un musicien allemand. Dans la baie Schubert, la plus
lointaine, s’est réfugié l’orchestre, qui ne jouera ce soir que
des morceaux à solos de flûtes, car les flûtistes de l’univers
entier sont Français. Dans la baie Mozart, juste en face, à la
distance type d’où les millionnaires écoutent et voient le
monde, les banquiers et leurs familles ; ceux qui ont un nom
ou un ancêtre français, et qui agitent les mains vers nous,
qui rient plus fort, comme si nous devions reconnaître leur
parenté aux ongles, aux dents ; ceux qui s’appellent Schmidt,
Mayer, Meyer, que leurs filles mariées plaisantent et qui
tirent des cartes de visite où ils ont fait graver pour ce jour-là
leur surnom seulement, Teddy, Billy. Dans la baie Schumann,
un visage étincelant de jeune femme, qui se trompe
d’ailleurs, qui, au lieu de regarder, écoute, qu’on appelle
de la salle, qui n’entend rien. En bas, réunies, voilà les
familles des étudiants tués en France, oncles, tantes, cousines
les plus éloignées en deuil, — les parents, orgueilleux,
en toilette. Voilà ce vétéran de l’Oklahoma qui s’est rendu à pied à toutes les guerres, à la guerre de Sécession, à celle d’Espagne, du Mexique, arrivé du matin à la guerre allemande. Voilà les étudiants de l’Équateur à Harvard, ceints de l’écharpe bleue qui flotte, les jours de fête, à peine de
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