Page:Giraudoux - Amica America, 1918.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.
95

Poètes de Californie, consciencieux, qui passent leur temps à caresser les têtes d’oiseaux qui n’ont pas volé !…

— Mon nom est Jeanne Blanchard. Vous m’appellerez, Mae, quand vous saurez comment j’imagine la vie. Je l’imagine comme un bonheur sans bornes, comme une fulguration, comme un cœur sans limites. Chaque matin, au réveil, je me précipite à la fenêtre ; je vois la mer infinie, le ciel qui tout embrasse ; je me dis que ce sont des nains à côté de mon bonheur. De joie, je sanglote. Quel doit être le vôtre, qui êtes belle, riche, qui n’êtes pas seule en ce monde !

Vous devinez pourquoi Clyton m’enlevait.

Cette nuit, l’ami du mois allait partir, Lee, le poète, — il était devenu amoureux, Mae déjà le détestait, — et Clyton avait reçu, à midi seulement, un message de celle qui devait être l’amie du nouveau mois ; elle retardait son voyage. C’était Mary Miles Minter, l’enfant qu’on voit dans les cinémas au premier acte toujours pauvre, au dernier acte toujours riche (ne pas s’aviser de tourner le film à rebours), sauvée de la rue par un lord, du music-hall par un milliardaire déguisé en barman, qui apprivoise les mégères dont la bru empoisonna le fils, les brigands auxquels une fille a truqué le télégramme annonçant la mort de leur mère ; et qu’on voit à la fin du film s’étendre dans sa propre image agrandie, comme l’enfance dans la jeunesse. Mae ne supporterait point de ne pas trouver au réveil son amitié nouvelle ; un gouffre pareil s’était produit voilà six mois ; haineuse, silencieuse, elle refusait de manger, de boire. Les