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éternel, car je l’ai gardée, et je la garderai pendant toute ma vie. Je ne veux pas que tant que je vivrai, on aille effaroucher tout une couvée de beaux rêves que j’ai laissée dans ce pauvre nid. La revoir est une des plus vives joies que me promette mon retour à Paris. J’y retrouverai tout dans le même ordre que par le passé ; mais la petite étoile brille-t-elle dans le même coin de ciel ? Grâce aux soins de Frédéric, mes affaires étaient en règle ; je partis le même jour pour Rome, car, lorsqu’on est attendu du bout du monde, c’est bien le moins qu’on revienne de quelque part.

Telle est, cher Edgard, l’histoire de mes voyages et de mes amours. Gardez-m’en le secret. Nous valons tous si peu les uns et les autres, que, lorsqu’il arrive à l’un de nous de faire quelque bien par hasard, celui-là doit s’en taire, sous peine d’humilier son prochain. Une fois rétabli, j’irai dans mes montagnes de la Creuse, et de là vers vous. Ne m’attendez qu’au mois de juillet à cette époque, don Quichotte fera son apparition sous les pommiers de Richeport, pourvu toutefois qu’il ne soit point accroché sur sa route par lady Penock ou par quelque moulin à vent.

Raymond de Villiers.


V


À MONSIEUR
MONSIEUR DE MEILHAN
À RICHEPORT,
PAR PONT-DE-L’ARCHE (EURE).


Paris, 24 mai 18…

Votre lettre m’a fait du bien, mon cher Edgard, parce qu’elle est imprévue, parce qu’elle sort du domaine de la consolation épistolaire. À votre place, le premier ami venu se serait mis à l’unisson de ma douleur en paraphrasant