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drèrent en relief dans leur loge, et arrondirent sur le velours leurs bras nus, traduits en marbre de Paros, tant de fois, par nos célèbres sculpteurs. Nos trois têtes, illuminées des sourires de l’ivresse, flottaient au-dessus des chevelures de nos divinités, pour compter approximativement, dans la salle, les nombreux témoins de notre bonheur.

Un éclair de raison traversait, par intervalles, mon cerveau, et alors je me disais, dans un monologue sérieux : Mais ce que je fais là est odieux ! Cette conduite n’est pas dans mes mœurs ; je suis absurde et ridicule ! Il faut sortir et demander pardon au premier passant !

Impossible de m’obéir. Un bras fatal me retenait là. Une volonté me dominait. La magie a survécu aux magiciens.

Dans les entr’actes, nos deux statues grecques s’entretenaient à haute voix des voisins et des voisines, et leurs propos, assaisonnés de sel attique, composaient un supplément fort ingénieux aux chœurs d’Antigone.

— Nous avons, à droite, quatre dames en bonne fortune, disait notre statue blonde. Elles ont mis sur le devant de leur loge, comme échantillon, probablement ce qu’elles ont de plus beau. C’est affreux comme chapeaux, comme tournure, comme visages, et comme robes de Cirque-Olympique. Si j’étais défigurée comme ça, je me ferais ouvreuse de loges ; mais je n’y entrerais jamais.

— Je crois les connaître, disait notre statue brune, ce sont les femmes du garde champêtre de mon cousin. Elles ont loué leurs chapeaux lilas au passage du Saumon. Il y a des femmes bien effrontées !

— As-tu vu les deux autres qui sont dans le fond, ma chère ange ?

— Je n’ai vu que des cheveux bouclés. Celles-là ont économisé les chapeaux. Toutes les fois que j’allonge le cou pour voir la figure de ces cheveux, on se retire avec précipitation.